Découverte insolite d'un rocher le long de la Colmont
Histoire géologique
Un beau jour du printemps 2019, informé par un pêcheur, Robert Goussin me montre la photo d'un imposant bloc rocheux sur la rive gauche de la Colmont, non loin du Moulin de Favière, camouflé l'été par la végétation. Malgré mes très nombreux passages en ces lieux depuis mon enfance, mon attention n'avait jamais été attirée par les lignes que l'on peut observer à sa surface et qui évoquent celles d'un visage humain, un borgne ou un cyclope à l'œil mi-clos, déformé par une balafre, émergeant des flots de la Colmont lorsqu'elle est en crue.
4 septembre 2019 (étiage) | 27 novembre 2019 (crue) | |
On note que la "coiffure" de notre personnage s'adapte aux conditions climatiques |
Même si l'on peut en être tenté à première vue, il ne faut pas voir la main de l'homme dans cette "figure" mais tout simplement les effets de l'altération de la roche au fil du temps, qui soulignent ou accentuent un réseau de fissures (ou diaclases) naturelles préexistantes.
De là a germé l'idée d'évoquer, dans les quelques lignes qui suivent, un fragment de l'histoire géologique de notre région, une partie seulement car l'histoire complète nécessiterait beaucoup plus que ces deux pages pour la conter !
Pour plupart des promeneurs, les rochers qui jalonnent le lit de la Colmont, ou qui constituent les escarpements qui délimitent sa vallée, font simplement partie du décor mais ils méritent toute notre attention car, pour peu que l'on s'y attarde un peu, ils nous racontent une histoire, méconnue du plus grand nombre, qui appartient à celle de notre planète vieille de 4,5 milliards d'années. Les blocs que l'on peut y observer résultent de l'altération liée à la circulation de l'eau dans les diaclases et qui les a en quelque sorte façonnés en transformant la roche, très dure et compacte, en un matériau sableux (arène), isolant ainsi des boules résiduelles.
Schéma expliquant la formation d'un chaos (dessin B. Coléno)
(d'après Plaine J. et Pivette B, Géotourisme en Mayenne, SGMB, 2019)
Ce phénomène a débuté il y a 50 à 60 millions d'années, alors que notre région connaissait des conditions climatiques chaudes et humides. Puis, il y a environ 2,5 millions d'années, le climat s'est considérablement refroidi. A cette époque, qui appartient à l'ère Quaternaire dans laquelle nous sommes encore de nos jours, les variations climatiques ont été très importantes, avec des phases de froid intense (cycles glaciaires) et des périodes plus clémentes (cycles interglaciaires). Les formes du relief que l'on peut observer actuellement sont un héritage de cette période au cours de laquelle la Colmont a creusé son lit, entraînant des quantités considérables de matériaux (argiles, limons, sables, graviers, blocs…) provenant de l'altération des roches en place. Les blocs que l'on peut voir sur les versants ont ainsi été dégagés de leur gangue d'arène, se sont écroulés par gravité sur les pentes et, pour certains, ont fini leur course au fond de la vallée.
Chaos rocheux dans le lit de la rivière (le Moulin-Neuf) - Boules de granite sur le versant de la vallée
Plus près de nous, il y a environ 18 000 ans, les glaciers atteignaient la région actuelle de Londres et le niveau de la mer était alors inférieur de 120 m au niveau actuel. A la faveur d'un radoucissement les glaciers ont fondu avec, comme conséquence, une remontée de la mer qui s'est stabilisée il y a environ 6 000 ans au niveau actuel, soit une remontée de l'ordre de 1 m par siècle en moyenne. Réchauffement climatique, déjà !
L'âge du granite que l'on peut observer dans la vallée de la Colmont est beaucoup plus ancien puisque les datations permettent de l'estimer à environ 540 millions d'années. Ce granite faisait partie des roches d'une importante chaîne de montagnes, haute de plusieurs milliers de mètres et comparable aux grandes chaînes de montagnes actuelles dont l'origine est due aux déplacements et aux collisions de plaques tectoniques à la surface du globe. Le granite résulte d'un magma (roche en fusion à une température proche de 900 °C) provenant de grandes profondeurs, de l'ordre d'une dizaine de km au moins, et qui est monté vers la surface, en se refroidissant, sous forme de "bulles" au travers des terrains encaissants.
Au cours des périodes géologiques qui ont suivi, cette chaîne de montagnes a subi une intense érosion et a été démantelée en plusieurs millions voire dizaines de millions d'années. C'est cette érosion qui nous permet d'observer à l'affleurement le granite. En effet, il se trouvait auparavant à une profondeur de plusieurs milliers de mètres : le "coup de rabot" du dessin ci-dessous illustre de manière schématique ce très long processus naturel.
"Coup de rabot "de l'érosion sur la chaîne montagneuse (granite en rouge)
(d'après Jonin M., SGMB, 2011)
Une autre chaîne de montagnes, édifiée il y a entre 300 et 360 millions d'années, constitue une partie du Massif Armoricain dans lequel notre région est située. Elle a elle-même été "rabotée" par l'érosion, laissant le Mont des Avaloirs comme point culminant (416 m), mais ceci est une autre histoire….
La vallée de la Colmont, entre le Bas-Pin et la Guiberdière, fait partie des sites mayennais d'intérêt géologique recensés dans le cadre de l'inventaire du patrimoine géologique régional des Pays de la Loire (DREAL).
Bernard PIVETTE, décembre 2019